Je vis sur le bassin au rythme des marées. Quel que soit le temps, je suis dans l'eau. J'ai vite fait connaissance avec le quartier du Mauret, au fil de mes promenades et de mes baignades. Mon oncle avait acheté une maison au Mauret qu'il avait cédé à ma mère voici plus de soixante ans. La plupart des maisons sont malheureusement détruites et remplacées par des constructions nouvelles sans âme. J'ai la chance d’habiter dans une maison rénovée récemment mais restée dans son pur jus. Une des maisons du patrimoine Andernosien, je savoure chaque jour le bonheur d’y vivre. J'y ai trouvé refuge en Mai 202O après avoir connu le confinement en Mars, dans le quartier parisien le plus peuplé de l'est parisien. Je suis très heureuse d'être revenue vivre en Gironde et surtout au bord du bassin. Le bassin est un milieu très ouvert, il est facile d'entamer une conversation et de la poursuivre, quelquefois à quelques jours d'écart, d'autres fois à quelques mois. Des rencontres ont marqué. Cette dame qui amenait ses chiens en voiture trois fois par jour, les baladaient et s’en retournait. Elle les choyait chaque jour. Je l'ai rencontré pendant plus d'un an. Croisée un jour au détour d’une promenade, elle me parle de maux d’estomac,elle va consulter son medecin. Quelques semaines plus tard, ne la croisant plus du tout, j’apprendrai par des promeneurs de chiens qu'elle est décédée d’un cancer du pancréas. Je rencontre les maitres des chiens et au fil du temps, connait leurs prénoms, prénoms des chiens puis prénoms des maitres. J’apprends à déceler leurs caractéristiques, leurs habitudes ; tel chien, chien d’eau, parcoure chaque jour sans relâche des kilomètres, tel autre chien est accro au frisbee, tel autre est très peureux mais s’aventure avec le temps dans l’eau avec moi. Partout des panneaux chiens interdits mais heureusement, cet interdit s’efface dans les faits dès l’automne, après les journées d’été ou vacanciers viennent en villégiature sur le bassin. J’aime les ambiances changeantes ; je suis chaque jour gâtée par le bassin. Chaque heure du jour, du soir a une ambiance différente. A chaque heure son ambiance, à chaque saison ses habitudes. Je fais des photos de couchers de soleil sur des mois et des mois. Les photos se succèdent et aucunes ne se ressemblent. Une symphonie de couleurs, chaque soir, illumine le bassin. Au fil de mes promenades le soir au coucher du soleil, je perçois des ombres, certaines troncs de tamaris tordus me semblent être des personnes, je rêve en me promenant, mes yeux saisissent les derniers éclats de couleurs des couchers de soleil flamboyants. Des habitués du Mauret se retrouvent au moindre rayon de soleil, à partir du printemps et au fil des marées. La rencontre est au rendez-vous de la journée. Les vacanciers arrivent dès les jours fériés pour des longs weekends et se mêlent aux locaux ; des conversations se nouent, se dénouent aussi subitement qu'elles ont commencé Liberté d'être, liberté de rencontre, liberté de partir, ce petit monde foisonnant est riche en découvertes et en sensations. Toute petite, j'ai connu mes premiers bains au Mauret. Plus de quarante ans plus tard, mon fils connaitra ses premiers bains au même endroit. Joli maillot deux pièces, un sourire radieux je me vois sur une photo d’un autre temps. Beaucoup de choses ont changé au Mauret et pourtant sur la photo de mon fils, je retrouve les mêmes repères, seules les couleurs des photos ont changé. Temps immuable, s’égrenant au fil des jours, douceur de vivre à l’ombre des tamaris et au gré des marées. La faible profondeur de l’eau procure des petits et grands plaisirs d’eau à tout moment. Coquillages enfouis dans la vase, vaguelettes ou calme plat, symphonie de bleus et verts, des sensations oubliées et retrouvées réjouissent mon âme. L'hiver doux arrive, les bateaux disparaissent de l'horizon. Ils réapparaissent avec les beaux jours au printemps, un par un, chaque jour voit un paysage différent en carte postale. Coup de vent sur le bassin, je me rappelle de ces bateaux échoués. Cette magnifique pinasse totalement rénovée par son propriétaire suscitait l'émotion très vive des passants. Chaque marée apporte son lot de surprise et de découvertes sur le bassin. Je rencontre Jean-Pierre B, un de mes voisins du Mauret. Une autre rencontre particulièrement marquante pour moi. Il est une figure emblématique du bassin. Tout le monde le connait dans le quartier, baptisé Jésus Christ par certains, Papa Noel par d’autres, et j'en oublie ... des petits yeux perçants, une grande chevelure et barbe grise, il va partout dépanner les habitants ; plus de chauffage, plus d'eau, des petits travaux d'urgence il est toujours là pour chacun d'entre nous, en cas d'urgence. Cette année il a perdu sa compagne de vie. Chaque vendredi, il me prend du pain aux blés anciens, au marché d’Andernos les bains. Il me l'apporte et nous entamons toutes les semaines de grandes conversations. Jean pierre a des passions multiples et variées. Il me raconte ses folles aventures de jeunesse. D'une famille de gabariers de père en Fils, il est parti très jeune de sa Dordogne natale et s'est embarqué pour des expéditions de pêche à la morue. Les longues journées, le plaisir d'être en mer toujours gardé intact malgré la dureté de la vie, il naviguera ensuite sur des voiliers. Se crée entre moi et Jean Pierre une intimité avec cette rencontre hebdomadaire et ses grandes discussions. La grande passion de Jean Pierre, être sur l’eau. Ma grande passion, être dans l'eau. Au fil de discussions animées, nous nous découvrons des points communs. Jean Pierre a une fille dont il a fait connaissance très tard, elle a soudainement surgi dans sa vie, souhaitant rencontrer son géniteur. J’ai découvert mes racines très tard aussi, mon géniteur s’appelant jean Pierre B. Père disparu, que j’ai pu entrapercevoir au fil des discussions avec Jean Pierre. Mon géniteur avait financé ses études de médecine avec des pêchers et des ruches. Il a fondé l'un des premiers cabinets médicaux en Gironde, qui porte d'ailleurs son nom dans une petite ville girondine. Jean pierre et moi partageons certaines valeurs. Par mes échanges avec jean Pierre, je retrouve ce père naturel que je n'ai pas connu. Mon histoire et son histoire entremêlent dans un ballet de conversations, à deux pas du bassin. Jean Pierre sait tout faire ; il est d’une intelligence brillante. Il a le bio en passion, le respect de la nature, des animaux, des insectes. Il n'écrase ni les mouches, ni les araignées ni les moustiques. Fort respectueux des êtres vivants, des végétaux, il défend les valeurs profondes, l'écologie de tous les jours. Il a décidé voici longtemps à une époque où on ne parlait pas de tout de consommer bio. Il fut le seul de sa famille à le faire, il est le seul en bonne santé et il n'hésite pas à le claironner. Dans mon imaginaire, se mêlent mes propres souvenirs, les souvenirs du bassin et mon réel depuis 2020. Il m'est impossible de renoncer à ces plaisirs quotidiens. J’aime prendre cette allée qui me mène au bassin. Mille fois arpentée, mille fois parcourue et pourtant toujours source d’intérêt.
Sabine LATOUMETIE: Le MAURET au fil du temps