L’occupant descend de l’engin. En l’occurrence, il est de sexe féminin. Il est affublé de tatouage, d’une longue chevelure colorée blonde et rousse, de collants résilles à grosses mailles qui, volontairement, ne cachent pas la générosité de la chair de ses cuisses. Le personnage, riant selon certains de façon communicative, pour d’autres de façon hystérique voire pathologique, parle français avec un accent américain, il prononce d’ailleurs même des jurons merveilleusement bien dans langue des Gaulois, insistant sur les gaffes que la traduction peut induire…
Sarah McCoy, LA musicienne de blues, de jazz, de soul américaine se produit à Arès !!! Sarah McCoy ! Est-ce possible de rester indifférent à cette chanteuse phénoménale, cette furie scénique, cette tempête d’émotion ?! Est-ce imaginable de pouvoir assister à son concert à Arès ?!!
Je suis complètement dépitée : le concert est complet. Moi LA fan de Sarah McCoy, j’aurais dû être inscrite sur la liste des VIP sans déconner ! Je languis pendant des jours devant sa trombine rieuse placardée sur les panneaux d’affichage de la ville, je suis déconfite de n’avoir pu choper une place… Bah, ça doit être une machination : l’organisation a dû se dire que j’allais crier trop fort « Sarah I love You ! ».
Je m’inscrits sur la liste d’attente, sans grand espoir. Je finis par me résigner. Par faire mon deuil.
Je prévois donc de dîner à Bordeaux. L’heure de départ pour la métropole approchant, je me sens de moins en moins en forme pour faire la route. Je me décommande.
Alors que j’aurais été sensée être au volant de mon bolide 4 chevaux en direction de la métropole, 30 minutes avant le concert, oui 30 minutes avant, je reçois un appel selon lequel 1 place pour le concert se serait libérée. 1 place !!!!!! Je suis abasourdie. Instantanément, ma forme revient illico presto ! J’ai eu le nez creux ! Je file à l’espace Brémontier, j’achète donc ma place : 17.50€ (ce tarif est absolument démentiel pour une telle géante de la musique américaine !) Et là, que vois-je ? L’affiche, la même que je zyeutais avec dépit sur les panneaux de la ville, en grand et moyen format. « A combien sont-elles s’il vous plaît ? » demandé-je « Elles sont gratuites » me dit-on, le plus naturellement du monde.
Là, je suis vraisemblablement dans une autre dimension… Ou bien suis-je piégée par une caméra cachée ? Non… Je dois être en train de dormir et de rêver… Il n’y a pas de siège derrière le comptoir pour que je puisse m’assoir ? J’ai la tête qui tourne.
Me voilà munie de la plus grande affiche, comme une gamine fière d’avoir la plus grosse barbapapa dans une fête foraine. J’entre dans l’arène plongée dans le noir, on me désigne une place en or, en bout d’un des premiers rangs. Je suis aux anges.
J’arrête là ma logorrhée de fan hystéro et je tâche d’être plus objective :
On attend la bombe musicale, la tempête du diapason, la bête de scène, aussi grosse qu’elle est explosive (oui, je m’autorise à écrire grosse !) … Et, là elle se faufile comme une technicienne dans le noir pour faire je ne sais quoi, accroupie, « à l’arrache » comme diraient les jeunes. Je suis dans l’incompréhension : c’est elle ? C’est pas elle ?
Et bam ! Le concert commence. Le concert commence et j’en prends plein les yeux. L’éclairage est bien pensé, cohérent avec le sens des morceaux, j’en prends plein les écoutilles : Sarah Mc Coy a un coffre de malade, précis… Mais surtout, j’en prends plein les tripes : d’une part grâce aux fréquences parfois inattendues et surtout, disons-le même, tout le temps : ce n’est pas un simple concert auquel j’assiste, c’est un « melting pot », un mélange biographique, psychologique et philosophique. Je m’expliquerai plus tard : il ne s’agit pas d’employer ces mots pour « en jeter ».
Les morceaux s’enchaînent et heureusement que je suis assise, mon corps tout entier est ébranlé, je ne sais plus comment le placer, croiser les jambes, les décroiser, m’assoir de travers, bien droite ? Mes mains s’accrochent à mes cheveux, mes yeux sont écarquillés, je respire profondément, j’expire…
Je crois que je vais perdre la tête. Je crois que je n’arriverai décidément pas à décrire cet instant en restant objective !
Non, je suis résignée, je ne pourrai pas écrire que c’était un « bon » concert… Un « bon » concert… Vous plaisantez ou quoi ?! C’est un concert démoniaque !
A propos de l’adjectif « démoniaque », un des titres m’a particulièrement marqué, il s’intitule « Prière » : Petit-à-petit, nous sommes entraînés, comme si de rien n’était, dans une forme d’incantation mystique. On ne s’aperçoit de rien au début puis de proche en proche, la musique nous captive, nous envahit, puis nous étourdit. Sarah, derrière son piano à queue est comme possédée, démoniaque, ses cheveux se balançant de haut en bas, de droite à gauche, ébouriffés par les accords et la puissance de sa voix. Elle est violente, perturbante, puissante et si juste.
Rien à voir avec ses vidéos que je dévorais sur le net. Là, je prends en pleines tripes une puissance inimaginable, extraordinaire. Attention, je tiens à le préciser : extraordinaire, là, ce n’est pas l’exclamation du genre « wahou !», extraordinaire signifie bien ici « au-delà de l’ordinaire ».
Entre autres morceaux où je suis désormais incapable d’écrire, Sarah McCoy me fascine en évoquant le « Boogie Man » : il s’agit, aux Etats-Unis, d’un personnage imaginaire, qui effraie les enfants en se cachant sous leur lit. Ben ! Enfin je connais le nom de cet enfoiré ! Parce que oui, le boogie man sautait sous mon lit moi aussi et je me réfugiais dans celui de ma grande sœur qui était témoin d’ailleurs ! Si j’avais su parler anglais avant, j’aurais pu l’envoyer se faire *** balader (oui ça passe mieux pour le grand public). Donc, ce petit clin d’œil un peu magique me touche oui !
Précédemment j’évoquais l’aspect hautement biographique, psychologique et philosophique des prestations de Sarah McCoy, car en effet, outre la puissance et la présence haute en couleur de la bonne femme, elle évoque, ici et là des idées profondément intimes, qui sont les siennes et peuvent être les nôtres… Comme l’envie, parfois que l’on pourrait avoir de se cracher dessus dans le miroir, « de supporter ses imperfections », « d’accepter sa médiocrité », « d’accepter sa fragilité » et parfois de devoir accepter que se reconstruire prend tant de temps… Un temps si lent.
A certains moments, choisis avec une extrême pertinence, l’ensemble des spots s’allument violemment sur le public, c’est une impression très puissante et troublante selon moi, et hautement symbolique : j’y ai vu plusieurs significations philosophiques : « et si on inversait les rôles », « si vous preniez ma place, exposée de plein fouet au regard des autres », ou, « voyez comme c’est violent d’être soi » ou bien encore « que choisir : la violence de la vérité, quite à en être ébloui ou le confort de l’illusion » Ces spots intensément lumineux prennent à leur tour le devant de la scène, avec leur lot de messages et, avec le sourire, je pense bien-sûr aux lumières étranges que l’on attribue souvent aux ovnis.
Enfin, et c’est peut-être cela le passage le plus philosophique, le dernier morceau s’intitule « La mort ».
Un morceau où elle crie qu’elle n’a pas peur de la mort : elle ne la nie pas, elle ne la fuit pas, elle n’en a pas peur, de tout son corps elle vit, de tout son corps elle vibre, de tout son corps elle se joue de la mort.
Promis Sarah… Je l’ai bien senti : toute ta voix, tout ton corps, toute ta musique, toute la lumière nous l’ont bien dit ! J’aurais tant à dire encore pour le prouver encore et encore ! Sarah McCoy, tu es bel et bien vivante. Merci de n’avoir pas peur.
Allez va ! On arrête avec nos standing ovations.
Ton carrosse t’attend à l’Ovniport !
Stéphanie CALATAYUD