Message n°1
Bienvenue à la villa Les Varechs. Tu as trouvé la clé à l’endroit prévu. Comme tu le sais, ceci est un cadeau mystère anonyme qui t’est offert pour tes quarante ans, et tu es venu seul. Installe-toi, prends tes aises.
Ensuite, je vais t’inviter à sortir cet après-midi.
Tu te souviens des grands jeux auxquels tu participais pendant les colonies de vacances. Cela s’appelait les jeux de piste. Il y en avait un par session. On jouait par équipes. On devait suivre des flèches, résoudre des énigmes, rapporter des preuves de passage à différentes étapes. Au bout du périple, le trésor c’était le goûter, et bien sûr toutes les équipes gagnaient ex aequo.
Tu vas faire un jeu de piste un peu particulier, car tu y seras le seul participant.<br>Ceci est le premier et dernier message sur papier, car ton outil sera ton smartphone dernier cri, jeu ancien mais technologie moderne !
Tu taperas le lien ci-dessous. Une appli se chargera automatiquement. Elle te localisera et t’enverra des messages aux moments opportuns. Tu ne pourras pas tricher ! Tu vas partir pour une balade vers une grande surprise, chaussé de tes sneakers de série limitée. Bon jeu de piste !
Message n° 6
Dans cette petite rue peu passante, regarde autour de toi. Dans les haies subsistent des rosiers de roses anciennes qui n’ont pas vu un sécateur depuis longtemps. Sens-tu leur parfum ? Mais peut-être n’y es-tu pas sensible, tu as maintenant un odorat de citadin.
Message n°9
Lève les yeux. Les petites villas de l’entre deux guerres sont encore fermées pour la plupart, la saison d’été n’a pas encore commencé. Leurs volets bleu clair encadrent un pignon planté au milieu de la façade, comme un chapeau pointu fantaisiste. Bien sûr elles n’offrent pas le confort moderne que tu apprécierais dans les appartements du centre ville. Ont-elles quand même du charme à tes yeux ?
Message n°12
Tu te demandes à quoi rime cette incursion dans le passé, tu t’impatientes. C’est vrai que tu es connu pour aller vite au but, même s’il faut bousculer quelqu’un. Mais tu dois suivre mes indications. Ce jeu est un cadeau, et un cadeau, ça ne se refuse pas, n’est-ce pas ?
Message n°14
Une récompense t’attend. Mon guidage t’a amené au port ostréicole. Va jusqu’au bout de la rue. À la dernière cabane, donne ton nom, on te servira une douzaine d’huîtres et un verre de vin blanc. Enfin une activité normale de touriste. Tu vois, je prends soin de toi. Avoue que c’est délicieux, je sais que tu apprécies le goût et le cadre... Et que tu savoures également les regards intéressés des jolies femmes aux tables voisines.
Message n°17
Tu t’es éloigné de la ville, et il y a moins de monde par ici. Sur ce chemin, tu ne trouves aucun intérêt aux haies où piaillent les oiseaux (tu ne sais pas qui je suis, mais moi je te connais). Descends sur le sable jusqu’à ces herbes rases, charnues. Goûtes-en une, tu peux y aller, c’est comestible. Reconnais-tu ce goût légèrement acidulé ? Tu avais oublié ? Ce sont des salicornes, les mêmes que celles que tu achètes en bocal à prix d’or dans l’épicerie fine en-dessous de chez toi.
Message n°19
Les huîtres t’ont donné soif, et tu n’avais pas pris ta gourde, toi qui prétends tout maîtriser d’habitude. Sur le chemin qui longe le Bassin, il n’y a pas un café à tous les coins de rue pour te désaltérer comme dans ton quartier branché. Mais courage, la surprise finale vaut bien un petit inconfort.</span><span>
Message n°22
Il n’y a plus personne autour de toi. N’apprécies-tu pas le calme ? Le sol est boueux, tu es obligé de marcher dans les flaques. Dommage pour tes chaussures, mais elles valent bien que tu les salisses pour la surprise qui t’attend. Tu n’as pas une petite idée de qui je suis et où je t’emmène ?
Message n°24
Tu marches plus difficilement, tes pieds collent comme des ventouses. Tu n’es pas fatigué, quand même, un fringant sportif comme toi ? Tu n’es pas inquiet, bien sûr, tu n’as peur de rien. Continue d’avancer, la surprise n’est plus très loin.
Message n° 25
Tu t’enfonces vraiment. Tu as perdu tes chaussures. Tu es dans la vase jusqu’aux mollets, et la mer monte. Tiens, tu paniques, et tu as raison, tu es en danger.
Lis vite ce message. Pour ne pas mourir noyé, la seule solution est de te mettre à quatre pattes et de ramper jusqu’au piquet que tu vois à quelques mètres. Tu vas t’y accrocher. Mais pour cela tu vas devoir laisser tomber ton précieux smartphone que tu exhibais avec vanité, il va être hors d’usage.
Heureusement pour toi, c’est jour d’entraînement des sauveteurs en mer. C’est moi le capitaine maintenant, nous sommes dans le coin, nous vois-tu ? C’est toi qui nous sers de cobaye aujourd’hui, c’est prévu. Les copains vont bien rire en te découvrant, habillé de boue noire de la tête aux pieds, et même jusqu’aux sourcils. Te voilà bien piteux ! Ils vont te trouver moins arrogant que quand tu les croisais autrefois, sans un regard pour eux, dans les rues touristiques.
Moi, je n’ai eu personne pour me secourir, il y a vingt-cinq ans, quand tu m’as obligé à aller chercher mon sac à dos que tu avais lancé par ici. J’ai dû m’en sortir tout seul.
Tu as compris qui je suis, maintenant ? La surprise t’a-t-elle plu ?
Bon anniversaire.
Martine Mazure