Je menais une vie paisible au cœur des montagnes jusqu’à cette terrible tempête qui défraya la chronique. Cette nuit-là, alors que j’étais solidement accroché à mon rocher, la pluie et le vent semblèrent s’acharner sur moi. En un instant, je fus balayé et transporté contre mon gré vers des lieux inconnus. A quoi bon lutter ? La nature était déchaînée et c’est avec une certaine résignation que j’acceptai mon sort. C’est ainsi, qu’un petit matin, dans un calme presque assourdissant, je me retrouvai sur une plage du bassin d’Arcachon. Le paysage devant moi s’étendait à perte de vue . C’était un mélange d’herbes vertes, ressemblant à une pairie, et de vase marron ; on aurait dit de la boue molle et visqueuse ou bien de la crème au chocolat, selon son humeur et ses envies ! Enfin, on était bien loin de l’idée de mer bleue calme et tranquille que j’avais imaginée. D’ailleurs, la mer, où était -t-elle passée ? C’était marée basse, la mer, elle s’était retirée loin, très loin, on ne la voyait plus. Sur la gauche, quelques parcs ostréicoles étaient à découvert. Ceux-ci avaient la réputation d’offrir un environnement propice et sécurisé au bon développement des huîtres. J’avais beaucoup entendu parlé de ces étranges créatures. Leur coquille de couleur brun verdâtre, d’apparence rugueuse, grossièrement feuilletée à l'extérieur et nacrée à l'intérieur pouvait parfois dissimuler une perle ; ne pas se fier aux apparences, celles-ci peuvent parfois cacher des trésors ! On m’avait rapporté que ces êtres vivants avaient une forte personnalité ; certain parlaient de parfums délicats et rafraîchissants de légumes et d'agrumes pour celles du Cap Ferret, puis d’arômes végétaux et minéraux pour celles de l’île aux Oiseaux. C’était de vrais connaisseurs aux sens du goût et de l’odorat particulièrement développés. D’autres se contentaient de les déguster, parfois même de les gober, accompagnées d’un bon petit verre de vin blanc ! A droite, on pouvait apercevoir le phare, longue tour tronconique blanche dont la partie haute était peinte en rouge. Toutes les cinq secondes, un éclat rouge dont la portée lumineuse s’étendait à presque cinquante kilomètres guidait les marins ; véritable repère pour les âmes perdues. Bravant toutes les tempêtes et les intempéries il était toujours là, au milieu des pins et des nuages. Un peu plus loin, une jetée, construite sur pilotis, s’avançait, offrant au promeneur un point de vue magnifique. C‘était aussi la promesse d’embarquer en vedette ou en pinasse vers d’autres horizons et de s’approcher des cabanes tchanquées, véritables petites merveilles architecturales, posant fièrement, comme les gardiennes d’une longue histoire et d’un riche patrimoine.
Une légère brise me caressait, les rayons du soleil me réchauffaient, le rire des mouettes et le claquement des cordages aux mâts des bateaux me berçaient ; j’étais bien et je me remettais, peu à peu, de mes émotions, savourant l’instant présent . Je m’étais assoupi quand je fus réveillé par un joyeux tintamarre. La marée avait monté et l’eau n’était pas loin de me recouvrir. La plage s’était tout d’un coup remplie de monde. Des parasols, des ballons, des seaux, des pelles et des râteaux... Le sol était jonché de toutes sortes d’objets multicolores. Tout à coup, un étrange personnage se pencha vers moi. Il n’était pas très grand, mais il avait cependant de longues jambes fines. Il était vêtu d’un short de bain rayé bleu marine et blanc sur lequel semblaient flotter quelques bateaux jaunes et violets et d’un tee-shirt blanc. Sa tête était recouverte d’un bob de couleur rouge éclatant d’où dépassaient quelques mèches blondes rebelles. Des lunettes de soleil à grosse monture verte couvraient ses yeux. Son corps tout entier était recouvert d’une étrange pellicule blanchâtre qui paraissait collante. Il semblait à la fois surpris et émerveillé par ce qu’il venait de découvrir ; à côté de moi, une magnifique étoile de mer à la silhouette rayonnante était échouée. Elle possédait cinq bras épais, arrondis et effilés à l’extrémité ; elle était de couleur brun jaunâtre, avec des reflets oranges et mauves, sa face inférieure était plus claire que sa face supérieure parsemée d’épines calcaires. L’individu se pencha et d’un geste habile et sûr s’empara de sa découverte ; c’est alors qu’au même moment, je sentis une force me soulever dans les airs et en l’espace de quelques minutes, sans comprendre ce qui m’arrivait, je fus projeté au fond d’un coffre de voiture. Le noir total. Plus de couleurs, plus de sons, quelques odeurs encore ; des senteurs de crème solaire, de criste marine, et de coquillages. La voiture démarra et roula, je ne sais combien de temps, cela m’a semblé une éternité. Puis, elle s’arrêta net. Je n’aspirais qu’à une chose, que ce coffre s’ouvre, que je puisse à nouveau voir le bleu du ciel, sentir le vent me chatouiller, entendre le chant des oiseaux... Mais rien, il ne se passa rien. Les secondes, les minutes, les heures passèrent, peut-être même les jours, que sais-je, j’avais perdu toute notion du temps. Qu’allais-je devenir ? Je poussais alors une longue plainte déchirante. Mais qui allait l’entendre ? « Moi, moi, moi...», j’avais l’impression d’entendre des dizaines et des dizaines peut-être même des centaines voire des milliers de « moi ». N’étais-je donc pas seul dans cette galère ? Ce son était-il réel ou était-ce le fruit de mon imagination? Je n’osais plus bouger. La terreur s’était emparée de moi, j’étais son prisonnier. Je me demandais ce qui me faisait le plus peur, rester coincé dans cet habitacle ou sentir la présence d’autres créatures. Mon imagination alors s’enflamma et je me mis à me représenter des êtres dignes de mes pires cauchemars quand j’entendis une petite voix :
- Je suis comme toi, prisonnier de cette automobile depuis longtemps, trop longtemps. Certains arrivent à s’échapper, d’autres non. Ils sont ensuite embarqués dans des villes plus ou moins grandes, bien loin de la mer et des plages et de ce décor de carte postale. Ils sont alors maltraités, balayés et guère aimés. Ils tentent parfois de trouver refuge dans une maison mais ils sont souvent mis dehors, accusés même, parfois, de contrarier une situation ou d’en déranger le bon fonctionnement.
- Mais c’est atroce. Depuis toujours je rêve du Bassin d’Arcachon et me voilà à peine arrivé que déjà je devrais le quitter. Je ne peux me résoudre à un tel destin. Il faut que je m’échappe.
Ne pas perdre espoir, ce coffre va bien finir par s’ouvrir, il faudra alors faire preuve de ruse. Mon imagination se remit au travail et j’élaborais des plans tous plus alambiqués les uns que les autres pour sortir de là. Mais l’espoir s’érode avec le temps. Alors il faut s’accrocher, se fixer un but et ne pas en démordre. En peu de temps j’avais déjà pu admirer tant de choses : la mer à marée basse, la mer à marée haute, les cabanes tchanquées, la jetée, les parcs ostréicoles, le phare...Tout un monde fascinant pour moi qui venait des montagnes. Il y avait encore une chose que je n’avais pas vu, c’était la dune. « Magique, lieu incroyable, vue imprenable , superbe panorama... » les qualificatifs ne manquaient pas pour décrire un tel lieu. C’est quand même la plus haute dune d’Europe, sans égale ailleurs dans le monde, ça doit valoir le détour ! Alors cette idée de voir la dune est devenue de plus en plus envahissante, voire obsessionnelle. Je tentais de me projeter, c’était la seule façon pour moi de tenir le coup.
Puis, un jour, enfin, le coffre s’ouvrit. L’individu qui avait ouvert la malle paraissait de mauvaise humeur. Il râlait en faisant de grands gestes, le ton de sa voix était autoritaire et le petit personnage au maillot de bain rayé bleu marine et blanc, qui se tenait à ses côtés, semblait tout penaud. J’aperçus même une larme rouler le long de sa joue et je fus, quelques instants, attendri par ce moment rempli d’émotion. Mais c’était le moment ou jamais ; il fallait s’en saisir, ne pas le laisser passer. La situation était confuse, il fallait en profiter, mais comment faire ? C’est alors qu’une gigantesque bouffée d’air m’envahit et je pus m’échapper. Je me retrouvai alors au pied de ce qui ressemblait à une immense montagne. J’aurai voulu grimper là-haut, tout là-haut, c’était mon rêve. Tout à coup, l’étrange personnage au costume de bain rayé réapparut. Je ne pus m’empêcher de ressentir une vive inquiétude. Il avait retrouvé son allant. Son visage était à nouveau rayonnant, il paraissait prêt à l’assaut de cette grande colline. Il s’assit pour enlever ses chaussures. M’agripper à lui était peut-être ma seule chance de monter là-haut. Mais que faire, y aller et prendre le risque d’être à nouveau prisonnier ou rester là, en bas, avec ce désir brûlant et inassouvi ? Ni une ni deux, je m’accrochai discrètement à son sac à dos. Après quelques efforts, me voilà enfin au sommet. Là un panorama époustouflant s’offrit à moi. D’un côté, une forêt à perte de vue, d’un vert profond, à l’odeur de pins enivrante, dégageant une énergie folle ; de l’autre, l’océan, chargé d’iode, grandiose et majestueux ; face à moi, le banc d’Arguin dévoilant ses courbes somptueuses sur lequel au milieu d’immortelles des sables embaumantes, quelques mouettes venaient se reposer. Un véritable écrin pour cette grande dame blanche, trait d’union mouvant entre terre et mer. Je me suis senti tout petit face à une telle géante ; je me suis senti aussi très fier de lui appartenir quelques instants. Après ce moment d’extase, je redescendis dans une course effrénée, culbutant au milieux d’éclats de rire joyeux. C’est ainsi que certains descendent la dune du Pilat. Que d’émotions ! Je tombai du sac et me posai enfin, désireux de souffler un peu. Petit à petit le calme semblait revenir. Le doux clapotis de l’eau, répété et prolongé, apportait un certain apaisement. Les deniers rayons de soleil se réfléchissaient avec splendeur sur le bassin. Puis, semblable à une grosse orange, le soleil s’enfonçait peu à peu dans l’eau. C’était un spectacle à couper le souffle. Bientôt la nuit et les étoiles apparaîtraient. Pourtant ce calme ne fût qu’éphémère. De gros cumulonimbus firent leur apparition dans le ciel puis, un arcus, impressionnant de par sa taille, passa. Des rafales de vent convectives puissantes se mirent à déferler, des éclairs gigantesques zébrèrent le ciel, on aurait dit qu’ils allaient le déchirer, des grondements de plus en plus rapprochés se firent entendre. La pluie commença à tomber, tel un déluge, puis ce fut un véritable bombardement de grêlons. C’était l’affolement général. Les gens criaient, couraient, et d’un coup il n’y eut plus personne, le silence à nouveau. Et moi, je restai là, sous la pluie. Mais, j’étais libre, dans un lieu splendide ; après ce que j’avais vécu, il n’était pas question de se lamenter sur mon sort. A ce moment là je me suis mis à fredonner quelques notes de "Singin’ in the Rain" car chanter sous la pluie, c’est braver les obstacles et sourire aux fâcheux ; ne nous en privons pas alors ! Puis, le vent commença à s’essouffler et j’aperçus bientôt une trouée de ciel bleu dans un magnifique cumulonimbus, l’orage était fini.
Les jours passèrent, apportant chacun leur lot de surprises. Il y eut des journées agitées, d’autres plus calmes. Il y eut des rires, il y eut des larmes. Puis, un beau matin, je vis réapparaître le petit personnage étrange au maillot de bain rayé bleu marine et blanc. Il était accompagné d’une ribambelle d’individus armés de pelles, de seaux et de râteaux. Bientôt, d’autres groupes firent leur apparition. Et puis, on entendit une voix forte crier : « Vous avez deux heures devant vous ; que le meilleur gagne » ! Ils avaient tous l’air très sérieux et paraissaient investis d’une mission de la plus haute importance. Une véritable organisation se mit en place. Certains étaient délégués à la confection de pâtés, d’autres avaient pour mission de remplir des seaux d’eaux, d’autres encore étaient chargés de ramasser coquillages , galets, bois flotté, plumes, algues... Tout objet en tout genre susceptible d’embellir l’œuvre qu’ils étaient prêts à créer ; ils étaient tout affairés et soucieux de mener à bien leur mission. On sentait la tension monter au fur et à mesure que le temps s’écoulait. Au début, j’étais simple spectateur et je me délectais devant tant d’enthousiasme et de frénésie. Puis, malgré moi, je fus embarqué dans cette belle aventure. Mais attention, construire une telle œuvre ne s’improvise pas. Face à l’adversité des pâtés dont la moitié reste collée au fond du seau l’avancée des travaux s’annonce parfois compliquée. Mais une fois la formule magique trouvée avec la bonne quantité d’eau selon une règle scientifique bien établie, l’édifice prit corps. Douves, remparts et autres tours émergèrent du sol. Après environ deux heures de travail acharné au milieu des cris, parfois des disputes, mais aussi des rires et des éclats de joie enfin un superbe château de sable vit le jour et j’en faisais partie. Oui, je suis juste un petit grain de sable parmi des milliards et des milliards d’autre grains de sable. Ce jour-là fut magique pour moi car la plus merveilleuse chose que je vis fut le sourire et la joie dans les yeux du petit personnage au costume de bain rayé bleu marine et blanc. Nul besoin de bâtir des châteaux en Espagne pour être heureux !
Aussi, la prochaine fois que vous vous baladerez sur une plage ou, qui sait, la prochaine fois, que vous construirez un château de sable, vous penserez peut-être à moi ; mais ayez aussi une petite pensée pour l’histoire, pas seulement l’histoire imaginaire des châteaux et des contes de fées, mais également l’histoire réelle du sable. En effet, n’oubliez pas que chaque grain de sable est un fragment de roche qui encapsule une longue histoire de montagnes disparues, de rivières anciennes, de marécages et de mers envahies de dinosaures, de climats et d’évènements du passé : autant d’éléments qui racontent l’histoire de notre planète !</span>
Claire PIERROT