Il était petit et rond. Rond de la rondeur d’un œuf. Sa surface lisse était d’un beau noir, avec quelques fines rayures blanches. On aurait dit un réglisse.
A chaque vague, il venait s’échouer sur la plage. Il se laissait rouler, abandonné à la puissance de l’eau. Lorsqu’il se heurtait à d’autres galets, ils émettaient ensemble un joli cliquetis. Les vagues, en se retirant, leur répondaient avec un petit chuintement.
Secoué dans le roulis d’écume, puis délaissé, il aimait les quelques instants durant lesquels il brillait. Mouillé, il affichait un noir luisant et profond mais, sa surface étant totalement imperméable, il suffisait de quelques secondes pour qu’il sèche et perde sa couleur luisante. Il retrouvait alors un noir mat, sobre, discret.
Mais voilà, c’était donc cela : il ne souhaitait pas être discret, au contraire.
Il voulait briller, briller à tout prix. Le peu de temps que durerait son éclat, il espérait qu’une main charitable viendrait le ramasser.
Peu lui importait de finir dans le sac d’une artiste du dimanche pour se retrouver collé à des coquillages dans une composition destinée à décorer la salle de bain.
Peut -être finirait-il dans la poche d’une « glaneuse » de celles qui ne peuvent s’empêcher de ramasser les feuilles sèches, les bois flottés ou les cailloux. Comme toutes ses autres trouvailles, elle finirait sur l’établi du garage et on l’y oublierait.
Ou alors, c’est un garnement qui le ramasserait pour le lancer le plus loin possible dans l’eau en poussant des cris de sauvages. Ce risque-là était grand, car, alors, il se retrouverait bien loin de la barrière d’écume et scintillerait au fond de la mer, inutile.
Celle qu’il attendait arriva enfin. Il la connaissait bien, depuis trois jours qu’il l’observait. Coquet et plus brillant que jamais, il roulait au bord des vagues, et s’arrêtait sur l’écume dont la blancheur mettait en valeur sa couleur sombre.
Pour elle, il cognait ses voisins. Il voulait provoquer un bruit qui l’attirerait, qui détournerait son attention.
La fillette avançait depuis le bout de la plage, sautillant, son seau à la main. Elle allait, venait, s’arrêtait, repartait indécise. Les yeux baissés, elle s’appliquait à bien balayer du regard ces millions de petits cailloux qui s’offraient à elle.
A fond du seau, déjà, quelques belles trouvailles : un galet tout rond comme une bille, un autre plat comme un jeton, un morceau de verre translucide...
Le petit galet ne quittait pas l’enfant du regard. Il suivait sa progression sur la bordure mousseuse dans laquelle les pieds de la fillette s’enfonçaient, laissant une trace vite effacée par les vagues.
Un malotru rouge sang essaya de pousser le petit galet sous l’écume. Celui-ci arriva à se caler contre une coquille d’huitre et resta hors de l’eau. Maintenant, un groupe de petits cailloux blancs lui bouchait la vue. Il se déplaça, concentrant toute son énergie pour se maintenir sur la bande de galets que les vagues faisaient s’entasser tout au long de la plage. Bousculé, tantôt submergé, tantôt propulsé par le flux jusqu’au sable fin, il essayait de ne pas perdre de vue l’enfant et son seau. La fillette était maintenant accroupie au-dessus d’une carapace de crabe qu’elle soulevait et retournait avec sa pelle.
Allait-elle s’intéresser à ce bout de pierre noir et blanc qui se haussait au-dessus de la barrière de galets ? AH ! S’il avait pu crier « Ohé ! ». Sans doute d’autres cailloux roulés avaient-ils vu l’enfant, eux aussi. La pauvre petite bille noire n’était sûrement pas la seule à vouloir se faire remarquer.</span><span>Alors qu’il roulait courageusement vers la plage il se trouva tout à coup dans le noir. Une algue venait de s’échouer sur lui. Plongé dans l’obscurité, il tâtonnait de tous côtés. Les fibres végétales l’emprisonnaient et il risquait bien perdre la partie. Allait-il rester coincé sous cette algue sans que l’enfant le voit ? Non, il ne pouvait manquer cette occasion !l tenait en vain de se libérer avant le passage de l’enfant. Et s’il y arrivait trop tard ?
Par chance, une vague plus forte que les autres l’arracha aux lanières vertes et le ramena à la surface. Délivré des longues herbes qui avaient tenté de le maintenir au fond de l’eau, il entreprit de rouler, rouler vers le sable sec avec toute la force qui lui restait.
Maintenant, il n’avait plus peur. Poussé par une vague, rattrapé par la suivante, projeté par-dessus les algues ou enveloppé d’écume, le petit galet parvint à atteindre la ligne du rivage où s’étaient échoués toutes sortes de coquilles et de déchets. Il était entouré de choses à l’air hostile : des bouchons, des morceaux de plastique déchiquetés, des mailles de filets de pêche et même des canettes</span><span>de boisson. Il regretta tout d’abord de s’être mis en avant. N’allait-il pas finir dans une poubelle ? Périrait-il dans l’estomac d’une mouette vorace ou entre les filaments d’une grosse méduse ?
Y penser le faisait trembler de peur, et bien vite, après tous les efforts fournis pour ne pas être englouti, il sentit la fatigue le gagner et se laissa sombrer dans le sommeil. Un sommeil de pierre, dur et lourd dans lequel il oublia rapidement les secousses, les tourbillons, les bousculades qui l’avaient amené jusqu’à la grève. Oubliant aussi l’enfant, il plongea dans ses rêves. S’il pouvait flotter un jour ! Il aimerait tant rester hors de l’eau et se laisser bercer sans secousse et sans le va et vient des vagues. Mais a-t-on déjà vu un galet flotter ? Il s’enfonça dans des rêves pesants où il essayait en vain, de regagner la surface. Les échecs rendaient ces rêves encore plus réels.
Soudain, le soleil brilla au-dessus de la plage. Le petit galet était sec, d’un noir terne que seules les rainures blanches venaient égayer. Après un temps qui lui parut infini, il se réveilla tout à coup, porté par une main d’enfant. La peau douce des petites paumes le débarrassait du sable collé à sa surface. Après ces caresses vint le bain, dans le seau. Maintenant, le petit galet n’avait plus peur. Les trois ou quatre cailloux qui reposaient au fond du seau en plastique luisaient dans l’eau fraîche. Lui aussi !
Il avait réussi ! L’enfant l’avait trouvé et, pour la remercier, le petit galet brillait tant qu’il pouvait. Il se sentit tout à coup soulevé à nouveau, tâté, retourné entre des petits doigts agiles. Il les sentit dans un frisson suivre ses fines lignes blanches.
Puis, soudain, il s’envola au-dessus de la grève. Son envol lui coupa le souffle et il retomba lourdement dans la mer. Il coula lourdement, victime de sa destinée de pierre. Il atterrit sur le fond sableux, ayant juste eu le temps d’entendre :
- Aujourd’hui, je ne prendrai que les galets blancs.
- Peut-être demain, soupira le petit galet.
Notre histoire se terminerait là sans l’intervention involontaire d’une méduse. Petit galet, déprimé, terni, était bien décidé à ne plus rouler et à s’enfoncer dans le sable.. Triste histoire, me direz-vous ! Mais non, car, contre toute attente, une méduse arriva soudain en dérapant sur l’écume. Cette grosse boule gluante bouscula tout sur son passage et souleva d’un coup le petit galet, le propulsant violemment sur le sable mouillé. Il existait donc une dernière chance ! Le petit galet concentra toute son énergie pour rouler, rouler sous l’effet de la vague suivante. Seule l’ultime frange d’écume arrivait à le bousculer. Il affichait maintenant son côté le plus lisse et le plus brillant, et c’est en poussant un grand soupir de pierre qu’il atterrit dans la main d’un garçonnet.
Celui-ci glissa rapidement Petit Galet dans sa poche et quitta la plage. Toute la journée le petit galet se laissa caresser, joua avec délice à roule dans la paume de la main de l’enfant. Le lendemain, les parents du garçonnet décidèrent de changer de plage. La maman trouvait qu’il y avait trop de déchets sur le sable et le père trouvait l’océan trop dangereux. Sur la plage d’Andernos, le Petit Galet était heureux, dix petits doigts le réchauffaient , le faisaient sauter en l’air... jusqu’’à ce qu’il tombe malencontreusement sur le sable. L’environnement le fit frissonner : Pas un galet, pas une coquille, ni même un morceau de bois délavé par la mer . Un vrai désert ! Mais aussi, que cet endroit était calme ! Que l’eau immobile était douce et tiède, sans vague ni déchets !
Dis, Papa, pourquoi il n’y a pas de galets sur le sable ici ?
Pour que tu puisses retrouver le tien plus facilement. Allez, viens, on le cherchera demain. On le retrouvera sans problème.
C’est vrai, ça, pourquoi n’y a-t-il pas de galets sur la plage d’Andernos ?
Martine BUTON